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Saytlia, la source de l’agriculture biologique

Sep. 15th | 9 commentaires

Le contexte agricole au Maroc

Au cours de nos trois semaines passées au Maroc, nous avons plusieurs fois arpenté les couloirs des chambres (instances provinciales) et des directions régionales de l’agriculture marocaine. Toujours très bien accueillis, nous avons petit à petit découvert le contexte agricole au Maroc. Lancé il y a 5 ans, en avril 2008, le plan Maroc Vert détermine désormais les orientations agricoles du pays, suivant deux piliers :

pilier I : le développement d’une agriculture moderne et à haute valeur ajoutée/haute productivité. Cet axe s’appuie surtout sur les investissements privés et s’articule autour du concept d’agrégation.

EXEMPLE : l’installation d’une unité de trituration d’huile d’olive. Un investisseur privé (l’agrégateur) présente son projet à l’Etat marocain. Une fois validé, l’agrégateur va contacter des petits agriculteurs (les agrégés), acheter leur production d’olives selon un contrat bien défini (incluant souvent la mise en place d’avances, permettant aux petits producteurs d’acheter des intrants phytosanitaires notamment), et utiliser son unité de trituration pour produrie sa propre huile d’olive. L’Etat n’intervient pas dans l’établissement du contrat, qui se veut gagnant-gagnant

pilier II : l’accompagnement solidaire de la petite agriculture, basé sur des investissements étatiques.

EXEMPLE : l’installation d’une unité de trituration d’huile d’olive. L’initiative revient aux agriculteurs qui doivent d’abord se réunir au sein d’une organisation professionnelle (OP) puis déposer leur demande. S’il juge l’OP sérieuse et le projet justifié, l’Etat finance alors la construction de l’unité de trituration et la met à disposition de l’OP sans autre condition.

Sans rentrer plus dans les détails officiels (que vous trouverez aisément sur internet), quelles sont les implications de ce plan Maroc Vert ? Le Maroc s’oriente clairement vers l’intensification de ses terres agricoles : c’est semble-t-il le but premier de ce système d’agrégation. Et malgré le pilier II, un de nos interlocuteurs au sein même de l’administration nous a confié que le plan Maroc Vert ne se souciait pas assez des petits agriculteurs, pourtant largement majoritaires : 80% des paysans marocains ont une surface agricole inférieure à 5 ha…

Dans ce contexte d’intensification et contre toute attente, la chance nous a mis sur la route de Saytlia, la ferme biologique de Mohamed Zouhair et Irène Nicotra. Ils cultivent bien entendu leur terre sans produit chimique, mais surtout, ils le font avec passion et conscience. Toute une éthique de vie gravite autour de cette ferme. C’est ce qui la rend si rare. C’est ce qui nous a conquis et convaincus de vous en parler.

Saytlia, la ferme biologique

LA GENÈSE DE LA FERME

En 2000, Mohamed (docteur en climatologie) et Irène (traductrice) décident de quitter Paris pour aller s’installer au Maroc. Mohamed n’aspire alors qu’à une chose : revaloriser la terre que lui a légué son père, située à 50km de Rabat. Il pense d’abord à planter des arbres, des oliviers, pour protéger la partie fragile de son terrain contre l’érosion. D’autres arbres fruitiers viennent petit à petit compléter le verger et un potager voit le jour… Au début, Mohamed ne tire de la terre que de quoi nourrir sa famille et ses amis, mais en juin 2010, poussés par la crise financière et l’insistance de leur entourage, lui et Irène commencent à vendre.

Notre reportage vidéo : « Saytlia, la source de l’agriculture biologique »

LES PRATIQUES AGRICOLES

« La nature, si on la respecte, toujours elle te le renvoie. Il ne faut pas forcer. » Si tel ou tel plant ne se développe pas à un endroit, Mohamed ne s’entête pas et essaye ailleurs, sur un sol différent, ou bien change tout simplement de variété. Il fait ainsi des tests, prends des notes et s’améliore au fur et à mesure de ses expériences. Mohamed insiste la-dessus : bien connaître son terrain est la condition sine qua non pour développer une agriculture biologique !

Il n’ajoute bien sûr rien à la terre, hormis du fumier naturel. La polyculture et la permutation des cultures suffisent à garder un sol riche et équilibré. Les petits pois, par exemple, rejettent de l’azote : on peut donc planter ensuite des pommes de terre ou du chou, tous deux gourmands en azote.

Mohamed plante aussi avec le calendrier lunaire. L’importance de cette pratique empirique est apparemment flagrante, en particulier pour les tomates, les courgettes, et les figues.

Et qu’en est-il de l’irrigation, indispensable pour déjouer l’aridité de la région ? Mohamed a fait appel à un sourcier qui a découvert 6 sources sur son terrain. Des puits ont été creusés au dessus de chaque source, et alimentent ainsi le système d’irrigation qui parcourent le potager et le verger.


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OÙ PARTENT LES RÉCOLTES ?

Mohamed et Irène, avec l’aide de leur trois enfants, vendent leurs fruits et légumes chez eux, à Rabat, à 50km de la ferme : en général, les clients commandent à l’avance par internet et viennent récupérer leur paniers le mercredi après-midi, le jeudi matin ou le samedi. Ces journées sont l’occasion pour les clients de se rencontrer, de se retrouver, d’échanger… Le maître-mot ? La convivialité ! C’est cette proximité qu’Irène cherche à développer en envoyant régulièrement une newsletter pleine d’humour, détaillant les produits disponibles, quelques conseils de préparation, mais aussi  les mésaventures de la ferme.


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Le gaspillage est bien sûr réduit au minimum ! D’une part, Irène se renseigne pour pouvoir utiliser les plantes cultivées des racines au feuilles. Alors qu’au Maroc, les fleurs de courges sont jetées sans autre procès, Irène les conserve pour ses clients et explique qu’elles peuvent se manger farcies. Et d’autre part, elle trouve des moyens pour préparer les fruits et légumes invendables ou non-vendus : les pommes tombées de l’arbre servent par exemple à faire du vinaigre.

L’ÉTHIQUE HUMAINE AUTOUR DE LA FERME

Deux ouvriers, Hassan et Bouazza, aident Mohamed à la ferme et sont récompensés à la juste mesure de leur travail. Ils ont accès à des conditions de travail encore rares au Maroc : la sécurité de l’emploi (pas de chômage technique : les jours de pluie, il y a toujours du travail en intérieur qui les attend), des congés payés, des bonus, etc. Mohamed et Irène veulent ainsi montrer qu’il existe un avenir pour ceux qui restent à la campagne. Qui cultivera la terre si tous les jeunes partent à la ville ?

Mohamed a même incité Bouazza à apprendre à lire et écrire : il le laissait quitter la ferme plus tôt pour qu’il puisse suivre des cours. C’est une réelle relation humaine qui lie Hassan et Bouazza à Saytlia !


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Les fruits et légumes que Mohamed et Irène proposent ne sont pas tous rentables, en particulier les pommes de terre et les carottes. Alors pourquoi continuer à les cultiver ? La réponse est naturelle : « Pour les enfants, pour les personnes âgées, pour les malades… C’est pour ceux qui ne peuvent pas se passer d’une alimentation équilibrée et saine que nous continuons. »

POUR LE DÉVELOPPEMENT DU BIO AU MAROC

Lorsque nous questionnons Mohamed sur le développement du bio au Maroc, il nous explique que l’initiative doit d’abord venir des agriculteurs. En effet, si c’est le consommateur qui vient chercher le producteur, ce dernier cherchera le profit avant tout n’hésitera pas traiter quand le consommateur aura le dos tourné. Mais il y a deux freins à ce changement des mentalités :

L’Etat, qui ne donne aucune incitation : au Maroc, les seules fermes biologiques sont les fermes royales.

Le flegme des paysans. Mohamed essaye de conseiller ses voisins, mais se heurte à un réel manque d’ambition : « Il pleut la nuit, ils sont contents. C’est la sécheresse, ils se plaignent. »

Délivrées des pesticides, les parcelles biologiques nécessitent beaucoup d’attention. Nous l’avons vite compris au contact de Mohamed et Irène : la tâche est immense et il semble qu’elle ne puisse être supportée sans passion. Mohamed espère donc le retour à la terre de chercheurs convaincus, qui pourrait amorcer une prise de conscience globale : une agriculture durable ne peut être que naturelle. Et finalement, si la plupart des agriculteurs cultivent en biologique, l’Etat n’aura d’autre choix que de suivre.


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9 comments Ajouter un comentaire

  1. Très intéressant. C’est avec des gens comme eux que nous conserverons une terre en bonne santé.


  2. beau reportage et qui donne espoir en l’espèce humaine!


  3. trop fort le nombre de variétés de fruits et légumes qu’ils ont O.o impressionnant!

    (hehehheeh les barbuuuus !!!!
    Daminou pas rasééééé hahahahahhahaha)


  4. – J’aimerais connaitre votre e-mail pour que je puisse passer commande.
    – J’aimerais aussi m’indiquer comment je puisse venir vous voir, c’est-a-dire, m’indiquer la route à prendre pour vous rendre visite sachant que j’habite Rabat.
    – Merci !


    • Merci de votre intérêt ! Nous vous avons écrit un email avec nos coordonnées et quelques informations sur notre fonctionnement.
      Au plaisir de faire votre connaissance,
      Irene & Mohamed


  5. Bonjour,

    Bravo ,nous avons un très beau pays ,reste aux agriculteurs de mieux travailler et valoriser leurs terrains
    Donnez leur un coup de main sur le plan formation et financier pour qu’ils puissent générer de la richesse et avoir un beau Maroc vert


  6. Bjr très intéressé de votre projet humain qui préserve la terre …j’aimerais bien savoir votre coordonnées pour passé commande et venir vous voir…..je vous félicite ……..


  7. Bonjour,
    Je viens de découvrir votre beau travail, pour préserver notre Terre -Mère, émanciper votre collaborateur et créer de la convivialité….Le rêve , vous l’avez réalisé simplement, avec générosité.
    J aimerai communiquer avec vous, et venir vous rencontrer, sans abuser de votre temps.Au plaisir.


  8. Bjr, bonne continuation, projet tres interessant

    j aimerai visiter votre ferme si c’est possible, je cherche de l’inspiration pour demarrer un projet semblable 🙂


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