Le Kashmir, « plus beau pays du monde »
Je suis entré dans la vallée du Kashmir le 25 mai. Cette journée fut pour moi la journée du yo-yo. « Faire le yo-yo » est un phénomène qui peut sûrement se vivre dans de nombreux pays, mais je ne l’ai jamais subi aussi violemment qu’en Inde. Je veux bien sûr parler d’un yo-yo émotionnel…
Pour être honnête, avant d’arriver en Inde je pensais être une bête de l’adaptation, capable de me fondre dans une culture comme un caméléon se fond dans le décor. En d’autres termes, je pensais être capable de m’émerveiller et trouver mon bonheur dans toute culture. Mais je me suis rendu compte que malgré toute l’ouverture d’esprit dont je suis capable, jamais je ne trouverai un bonheur stable en Inde. Se déplacer en vélo reste pour moi le meilleur moyen pour découvrir la vraie nature d’un pays, pour la simple raison qu’aucune vitre ne me sépare de l’atmosphère du pays. J’ai apprécié ce contact direct dans les 13 pays précédents sans aucune réserve, mais en Inde, j’ai souvent rêver d’une bulle vitrée. En double vitrage de préférence. C’est vous dire à quel point ce yo-yo émotionnel était intense et épuisant.
Voyager en Inde, c’est s’exposer à des sautes d’humeur fulgurantes et incessantes. Et dans le genre, cette première journée dans la vallée du Kashmir est sans doute l’expérience la plus marquante que j’ai vécue.
L’histoire commence dans la quiétude d’une route de campagne…
De l’autre côté du tunnel s’ouvre la vallée du Kashmir… Je me laisse emporter par la pente et descends vers le plancher de la vallée. Avant même de l’avoir atteint, je quitte la « highway » (route principale) pour m’engager sur une superbe route de campagne en direction de Verinag. Aucun vrombissement ni devant ni derrière, et une nature vivante et verdoyante à gauche comme à droite ; je pédale dans une pure euphorie !
J’arrive rapidement à Verinag… et bascule dans une réelle fureur ! Elle me prend au petit restaurant où je me suis arrêté déjeuner. Je ne comprends pas ce qu’ils disent mais il ne fait aucun doute que tous parlent de moi, parfois rigolent de moi. Je suis fatigué d’être au centre des attentions. Mon sang-froid explose et je quitte le restaurant sans dire un mot, laissant la centaine de roupies que vaut mon repas sur la table. Je n’ai alors qu’une envie : fuir l’agitation de la ville et ses regards. Je sens que la route est belle, les oiseaux chantent mais impossible de me calmer. Je voudrais devenir invisible, ne plus entendre ces « hello, how are you ? » sur mon passage, ne plus susciter de réactions que je prends maintenant comme des agressions.
J’arrive ensuite à Anantnag. Ville horrible. Je retrouve la « highway ». Route horrible. Trop, c’est trop. Trop de camions, trop de klaxons, trop de pollution. Rouler est un enfer, je n’ai qu’une envie : arriver à Srinagar et me ressourcer dans le calme d’un hôtel.
Je n’ai pris aucune photo de ce capharnaüm. Au cours de ces quelques heures, seule cette jolie rizière devant les montagnes m’a inspiré.
A 30km de Srinagar, je fais une pause dans une sorte de café pour y boire un « cold drink ». Mes nerfs sont toujours à vif, incapables de cicatriser dans l’atmosphère abrutissante qui pèse au dessus de l’asphalte. Quelques minutes plus tard, tout un groupe (ou plutôt, comme je l’apprendrai plus tard, toute une équipe de volley) s’installe à côté. L’un d’eux, Shamshad, commence à me parler et, avant même que mon sourire ne revienne, il m’invite à dormir chez lui. Dans l’immédiat, ils ont un match de volley et il me propose même de venir jouer avec eux. Et tac ! D’un claquement de doigt, l’énervement s’évapore et laisse place au soulagement et à la joie d’une rencontre intéressante !
J’ai laissé mon vélo au café et suis monté en voiture avec eux. Nous avons joué jusqu’à ce que la nuit tombe sur le terrain puis nous sommes rentrés chez lui. J’ai rencontré sa famille qui m’accueilli dans la pure tradition kashmirie, Shamshad et moi avons discuté jusque tard dans la nuit, et le sommeil ne nous a rattrapés qu’après avoir chacun assouvi notre curiosité quant à la culture de l’autre. Cette journée fut des plus tourmentées, éprouvante s’il est besoin de préciser, mais le yo-yo s’est finalement immobilisé : je me suis endormi l’âme heureuse et en paix.
Merci infiniment Shamshad pour cette invitation. Ce sauvetage. Ce lancer de yo-yo. J’ai accueilli cette dernière saute d’humeur avec le plus grand des plaisir ! (sur la photo, Shamshad et sa soeur Incha)
Je vous disais que Shamshad et moi avions beaucoup discuté. Il m’a notamment beaucoup parlé du Kashmir et autant vous le dire tout de suite : cette vallée est la région la plus instable que j’ai traversée depuis le début du voyage. Evidemment, l’omniprésence de l’armée met la puce à l’oreille : chaque ville héberge son lot de véhicules blindés, placés à intervalles réguliers le long de la route principale, tandis que dans les campagnes des militaires sont dispatchés pour surveiller le travail des agriculteurs. Nul besoin d’être Sherlock Holmes pour en déduire que quelque chose ne tourne pas rond. Mais quelles sont donc les raisons à ce déploiement militaire ?
Le Kashmir est en fait tiraillé entre l’Inde et le Pakistan : la région est administrée par l’Inde, mais revendiquée par le Pakistan dans la mesure où l’essentiel des Kashmiris sont musulmans. Et la plupart d’entre eux souhaitent effectivement quitter l’Inde et être rattachés au Pakistan.
Le gouvernement ne prend absolument pas soin du Kashmir, il ne fait que collecter nos impôts ! C’est ainsi que les Kashmiris voient les choses, et c’est en grande partie de là que naissent leur frustration et leur animosité envers l’Inde »
De cette soif d’indépendance sont nés des mouvements terroristes, mais l’Inde est quasiment parvenue à les réduire à néant. Ce qui ne signifie pourtant pas que le Kashmir est pacifié : il y a toujours les terroristes qui viennent du Pakistan. Shamshad me disait par exemple que son équipe avait un match de compétition plus tôt dans l’après-midi, mais qu’ils avaient dû le reporter car des échanges de coups de feu avaient explosé juste à côté ! Sans doute entre l’armée et terroristes indépendantistes.
Comment les Kashmiri vivent-ils cette présence militaire ? Tout simplement comme une occupation étrangère. Ils doivent constamment avoir leur carte d’identité sur eux et peuvent être contrôlés à tout moment.
« Nous sommes Kashmiris et nous nous faisons contrôler chez nous par des Indiens, des étrangers ! »
Petite anecdote ; avant d’éteindre la lumière, Shamshad me dit de le prévenir si je veux aller aux toilettes. Mais pourquoi donc ?! Il m’explique qu’il y a un couvre-feu le soir et des patrouilles militaires tournent un peu partout et qu’il a peur qu’un militaire ne m’entende aller aux toilettes (qui étaient dehors, proches du portail), qu’il ne m’interroge et que, n’ayant aucune réponse en retour (l’Hindi n’est toujours pas mon fort), il trouve ça suspicieux et pose de problèmes. Un peu fou quand même !
Quelques informations objectives, d’autres subjectives, voici ce que j’ai pu apprendre de la bouche d’un Kashmiri sur la situation du Kashmir. Le lendemain j’ai repris la route, mes batteries rechargées à bloc, prêt à affronter à la fois physiquement et mentalement les désagréments de la circulation.
Par un heureux hasard, je suis passé devant la fierté des Kashmiris, le Dal Lake ! (quant à ce ce jeune homme, c’est tout à fait volontairement qu’il est passé devant mon objectif !)
J’ai alors dépassé Srinagar et l’ascension progressive vers Leh (3500m d’altitude) a commencé !
Un dernier coup d’oeil en arrière m’a presque ramené en France… Ne dirait-on pas un paysage alpin ?!
A suivre…
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Mais au fait pourquoi ce titre ? Laissez-moi vous retranscrire la conversation que j’ai eu avec un inconnu kashmiri, qui ne m’a abordé que pour me poser LA QUESTION :
« So, how do you find Kashmir ?
– Yeah, it’s nice.
– Isn’t it the most beautiful place on Earth ?
– Well, I don’t know. I just arrived today.
– You know, many travelers come here and say that Kashmir is Paradise on Earth. Don’t you think so ? »
Là , son insistance a commencé à m’agacer et je lui ai dit ce que je pensais.
« Actually no, I’ve been to Bolivia, and to me South Bolivia is much more beautiful. »
Il était choqué, mais au lieu de s’intéresser à la Bolivie, voici la seule question qu’il a réussi à sortir :
« So you would say that Bolivia is first and then comes Kashmir in second, right ? »
WTF ! Lui était le pire, mais tous les Kashmiris à qui j’ai parlé, même brièvement, me posaient plus ou moins LA QUESTION : « Don’t you think that Kashmir is the most beautiful place on Earth ? » Mais d’où leur vient cette fierté ? D’où leur vient cette certitude alors que la plupart d’entre eux n’ont jamais quitté l’Inde ?!
The most beautiful place on Earth ? Hum… 🙂
Biien interessant ce spot qui s’écarte un peu des précédents en nous faisant partager une réalité Indienne telle le revers d’une médaille qui jusqu’à présent nous faisait toujours réver. Oui, le monde n’est pas une succession de nice places! Bravo pour avoir su parfaitement décrire cette dualité.
Je lis avec plaisir la suite de tes aventures indiennes .Ton récit me rappelle la rencontre faite au nord Pakistan avec des casques bleus norvégiens en mission au Cachemire déjà en 2001! malgré tout ce séjour même chaotique est une super expérience!!A bientôt